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L’encéphalite à tiques progresse en France : que faut-il savoir ?

12 octobre 2024

Une tique appartenant au genre Ixodes à l’affût.
Erik_Karits / Pixabay

Nathalie Boulanger, Université de Strasbourg; Aurélie Velay, Université de Strasbourg et Yves Hansmann, Université de Strasbourg

L’encéphalite à tiques est une infection virale potentiellement grave qui sévit dans les zones tempérées de l’Eurasie, dans une bande géographique allant globalement du sud-est de la Grande-Bretagne au Japon, en passant par une partie de la Scandinavie, la Russie et une large portion de la Chine.

Comme son nom l’indique, le virus responsable de cette maladie est transmis par les tiques. Il appartient aux Flavivirus, un genre viral dont font aussi partie les virus de la dengue et Zika (qui eux sont transmis par le moustique tigre).

L’encéphalite à tiques n’est pas une pathologie récente, puisqu’elle a été formellement décrite (et le virus isolé) en 1937, lors d’une expédition en Extrême-Orient russe. Elle est cependant en augmentation dans toute l’Europe, y compris en France.

Si le nombre de cas d’infections annuelles dans notre pays demeure actuellement beaucoup moins élevé que le nombre de cas d’infection par la bactérie responsable de la maladie de Lyme, les autorités sanitaires prennent cependant la situation au sérieux. Voici ce qu’il faut en savoir.

Des contaminations en augmentation partout en Europe

Depuis que le virus de l’encéphalite à tiques (TBEV, pour « Tick-Borne Encephalitis Virus » en anglais) a été isolé, au début du XXe siècle, trois sous-types majeurs ont été décrits. Il s’agit, par ordre décroissant, dans la sévérité des symptômes du virus d’Extrême-Orient, du virus sibérien et du virus européen.

En Europe, le virus TBE est propagé par les tiques appartenant à l’espèce Ixodes ricinus. En Extrême-Orient (ainsi qu’en Europe centrale), le vecteur de la maladie est une autre espèce, Ixodes persulcatus. Il faut toutefois souligner que cette répartition n’est plus aussi stricte qu’auparavant. Cependant, la tique Ixodes persulcatus a aussi été détectée en Europe, dans les Pays baltes, où elle se superpose avec I. ricinus. Les oiseaux migrateurs pourraient être responsables de cette importation.

Ce sont les mêmes espèces de tiques qui transmettent également la bactérie responsable de la maladie (ou borréliose) de Lyme, Borrelia burgdorferi sensu lato. Il est donc intéressant de faire le parallèle entre ces deux maladies transmises par les tiques.

Une maladie beaucoup plus rare que la maladie de Lyme, mais qui progresse

Premier constat : l’épidémiologie de l’encéphalite à tique et celle de la maladie de Lyme sont légèrement différentes. Les tiques infectées par le virus TBE constituent généralement des microfoyers où les petits rongeurs et les insectivores jouent un rôle important, tandis que les tiques infectées par la bactérie responsable de la maladie de Lyme sont uniformément réparties dans l’environnement.

Second constat : les taux d’infection des tiques sont très différents également : 10 à 20 % pour la bactérie Borrelia, contre moins de 1 % pour le virus TBE.

Enfin, le nombre de personnes contaminées diffère très fortement également, puisqu’on estime que 50 000 à 60 000 cas de borréliose de Lyme surviennent chaque année (selon le réseau Sentinelle), tandis que jusqu’en 2016, moins d’une dizaine de cas par an était recensée pour l’encéphalite à tiques.

Photo d’une tique Ixodes ricinus à l’affut sur un brin d’herbe
Une tique Ixodes ricinus à l’affût.
Nathalie Boulanger/DR, Fourni par l’auteur

Mais les choses évoluent et les cas augmentent partout en Europe. En France, 30 cas ont été détectés en 2021, et 36 en 2022, selon la dernière étude de Santé publique France. Partie de l’Alsace, région où le premier cas avait été diagnostiqué en 1968 et qui a été pendant plusieurs années la seule zone endémique, la maladie s’étend à présent en Auvergne-Rhône-Alpes et en Franche-Comté.

Face à cet accroissement, les autorités sanitaires ont décidé en 2021 de classer l’encéphalite à tiques parmi les maladies à déclaration obligatoire.

Quelle gravité pour l’être humain ?

Une infection avec le virus TBE peut conduire chez certains patients à des atteintes du système nerveux central avec des méningites (inflammation des méninges, les membranes qui enveloppent le cerveau) et des méningoencéphalites.

Le virus européen est le moins dangereux des trois virus, puisque le risque mortel qui lui est associé est d’environ 1 %, contre un taux de mortalité d’environ 30 % pour le virus d’Extrême-Orient.

Le traitement consiste à traiter les symptômes. Pour les personnes particulièrement exposées au risque de contracter la maladie, comme les forestiers, il existe une vaccination efficace, qui protège contre les trois sous-types viraux.

Comment se transmet l’encéphalite à tiques ?

La transmission du virus de l’encéphalite à tiques peut se faire non seulement par piqûre de tique, mais aussi par consommation de produits laitiers fabriqués avec du lait cru provenant d’animaux infectés.

Rappelons que les tiques Ixodes vivent sur la végétation, dans les feuilles mortes et dans l’humus, surtout en zone forestière. Elles évoluent en trois stases à partir de l’œuf : la larve, la nymphe et les adultes mâle et femelle. Si toutes les stases sont impliquées dans la transmission du virus, la nymphe joue un rôle particulièrement important, car elle est présente dans l’environnement de façon uniforme. En outre, sa petite taille fait qu’elle passe facilement inaperçue.

Un point est important à souligner : dans le cas de l’encéphalite à tiques, la transmission du virus se fait immédiatement, dès le début de la piqûre, car il est présent dans les glandes salivaires de la tique. Cela diffère de la transmission des bactéries responsables de la maladie de Lyme, qui elles doivent maturer dans l’intestin de la tique avant la transmission dans la salive (ce qui requiert un délai d’environ 24h, et implique que retirer la tique avant cette limite évite généralement d’attraper la maladie de Lyme).

Le cycle de transmission du virus TBE implique trois acteurs principaux : le virus, la tique (vecteur de l’infection) et un hôte naturel. Les hôtes naturels sont généralement des petits mammifères forestiers (les mulots Apodemus spp. ou les campagnols Myodes spp.), mais les oiseaux pourraient constituer également des réservoirs. Les cervidés et plus particulièrement les chevreuils (Capreolus capreolus), quant à eux, participent activement au maintien des populations de tiques.

Mais le réservoir du virus est d’abord constitué par la tique, qui transmet le virus de stase à stase (transmission transtadiale), ainsi que de la femelle aux œufs (transmission transovarienne). Cela permet au virus TBE de bien se maintenir dans l’environnement. Les tiques peuvent également s’infecter par « co-feeding » (« co-repas ») lorsqu’elles sont regroupées sur un animal (ce qui est souvent le cas sur les animaux sauvages, chevreuil par exemple).

Si l’une d’entre elles est infectée, elle va transmettre le virus lors de la piqûre à celles qui se nourrissent autour d’elle. En effet, la tique porteuse du virus l’inocule le virus avec sa salive dans la peau de l’hôte. Les autres tiques à proximité aspirent ainsi le sang et le virus inoculé.

Une tique du genre Dermacentor à l’affût sur un brin d’herbe
Une tique du genre Dermacentor à l’affût (à noter, son aspect marbré).
Nathalie Boulanger/DR, Fourni par l’auteur

Il est à noter que des études récentes en Allemagne et en Europe confirment le rôle d’une autre tique dans la circulation du virus dans l’environnement : la tique du genre Dermacentor. Comme la tique Ixodes, sa population est en expansion suite aux changements climatiques, environnementaux et socio-économiques. Dans le cas de Dermacentor, contrairement à Ixodes, seuls les adultes piquent (ils se fixent principalement au niveau du cuir chevelu).

La cohabitation de ces deux espèces de tiques dans les mêmes écosystèmes (on parle de « sympatrie ») explique la circulation particulière du virus de l’encéphalite à tiques chez Ixodes et Dermacentor.

Comment s’explique l’augmentation du nombre de cas ?

L’augmentation globale des cas d’encéphalite à tiques en Europe ces dernières années s’explique non seulement par des changements environnementaux, mais aussi par des changements socio-économiques.

Les pays baltes, la Slovénie ou la Tchéquie par exemple, sont particulièrement touchés par l’infection. L’augmentation des cas survenue dans ces régions s’est produite après la chute du bloc soviétique, et son origine est multifactorielle. Notamment, pour pallier la perte de pouvoir d’achat liée à la crise économique qui a suivi l’effondrement, certaines populations auraient davantage fréquenté les forêts pour collecter des baies sauvages et des champignons. S’ajoutent à cela une baisse de la couverture vaccinale et de l’utilisation des pesticides.

Actuellement, on explique aussi l’augmentation des cas d’encéphalite à tiques par l’expansion géographique de la tique Ixodes, qui est, là encore, multifactorielle. Elle résulte en effet non seulement de la modification de son écosystème forestier, désormais plus végétalisé et plus fragmenté, mais aussi de l’augmentation de certains ongulés sauvages comme le chevreuil.

Quelle prévention ?

Pour cette maladie à tique, la meilleure prévention est la vaccination. Un vaccin, mis au point en 1976, est disponible et a montré son efficacité. L’Autriche, pays particulièrement touché par le virus de l’encéphalite à tiques en raison non seulement des piqûres de tiques, mais aussi de la consommation de fromage au lait cru contaminé, a pratiqué une vaccination massive de sa population, ce qui a permis de réduire très fortement l’incidence de cette maladie.

La vaccination est d’autant plus importante que, comme mentionné précédemment, la transmission du virus de l’encéphalite à tiques se fait instantanément, au moment de la piqûre.

Concernant la transmission du virus par voie alimentaire, en Europe, 1 % des infections humaines y sont associées. Il convient donc d’être prudent dans les trois régions de France où des cas d’encéphalite à tiques se sont déjà déclarés, lors de la consommation de produits à base de lait cru, notamment de chèvre. Soulignons que dans le cas d’une infection par voie alimentaire, l’incubation est plus courte, la symptomatologie clinique est moindre, et la survenue est caractérisée par des cas groupés autour de la consommation de produit contaminé.

Pour conclure, rappelons que la période d’activité des tiques est maximale d’avril à juin puis moindre de septembre à novembre, quand les températures baissent. En climat océanique, avec les modifications climatiques en cours (hivers doux), les tiques Ixodes sont actives toute l’année ; en climat continental, elles observent une diapause hivernale, et recommencent à être actives quand les températures remontent au-delà de 7 °C.

En période d’activité des tiques, une façon de se protéger est d’observer quelques règles lors des sorties dans les zones infestées, parmi lesquelles, notamment, le port de vêtements couvrants, si possible de couleur claire : cela permet de limiter les piqûres, et de mieux repérer les tiques.The Conversation

Nathalie Boulanger, Professeur de parasitologie et mycologie médicales, UR7290: virulence bactérienne précoce: responsable groupe Borrelia, Université de Strasbourg; Aurélie Velay, Virologue, CHU Strasbourg, Université de Strasbourg et Yves Hansmann, Professeur des universités – praticien hospitalier – Maladies infectieuses et tropicales et médecine interne, coordonnateur du Centre de référence Maladies vectorielles à tiques, membre du groupe de travail HAS, membre du groupe de travail ANSES, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Nicolas Koutsikas - GeoramaTV

Nicolas Koutsikas est un auteur, réalisateur et producteur de films documentaires basé en France. Il travaille dans ce domaine depuis plus de 30 ans. Avec sa société de production Georama TV, co-fondée en 2007 avec Émeraude Zervoudis, il a une longue expérience des questions environnementales au niveau mondial.

Nicolas Koutsikas - GeoramaTV

Nicolas Koutsikas is a writer, director and producer of documentary films based in France. He has been working in this field for over 30 years. With his production company Georama TV, co-founded in 2007 with Émeraude Zervoudis, he has extensive experience of environmental issues worldwide.